
Nous avons jugé bon de vous proposer cette tribune d’un Journaliste, critique d’art
Chercheur en développement culturel, Patrick Nzazi.
QUI EST CE ?
Auteur de l’ouvrage « Le paysage artistique de la République démocratique du Congo: Regard, entretiens, perspectives », Éditions Vérone, Paris.
La République Démocratique du Congo dispose d’une scène artistique impressionnante, à la fois singulière et empreinte d’universalité. Les opérateurs évoluant dans ce secteur font preuve d’une résilience remarquable, malgré un environnement peu propice au développement de leur carrière. Ils affrontent de nombreux obstacles, de la création ou production à la diffusion.
Ce qui inquiète davantage aujourd’hui, c’est la fermeture progressive des rares lieux culturels privés dans le pays, alors même qu’ils sont peu nombreux. Ces structures jouent pourtant un rôle essentiel en tant que partenaires des pouvoirs publics dans le domaine artistique et culturel.
Les arts sont une force capable d’appréhender et d’approfondir des thématiques complexes telles que l’identité, l’espoir, la liberté, mais aussi les relations politiques, le vivre-ensemble, le rôle de l’imaginaire et des émotions dans nos quotidiens. Ce rôle vital des arts, dans leurs diverses expressions, comme le souligne Tiphaine de Mombynes – directrice du Fonds Métis Arts et Développement – dans la préface de notre essai « Paysage artistique de la République démocratique du Congo: Regard, entretiens, perspectives » (Éditions Vérone), semble pourtant encore négligé par le gouvernement RD congolais.
Certes, une volonté politique de structurer et dynamiser le secteur culturel est perceptible, notamment à travers la loi sur le statut d’artiste et du professionnel de la culture, ainsi que l’ordonnance-loi n°25/030 du 12 mars 2025, portant principes fondamentaux relatifs à la culture et aux arts. Mais sur le terrain, l’accompagnement, notamment en ce qui concerne les lieux de création, de production, de diffusion et de rencontre, se fait toujours attendre.
Ces dernières années, plusieurs espaces culturels ont fermé leurs portes à Kinshasa: K-Mu Théâtre, Centre Spin de Mwika Théâtre, Espace SADI, entre autres. Plus récemment, le centre culturel Aw’art (Bandalungwa) et le centre Miezi (Kasa-Vubu), qui comprenait une bibliothèque, une librairie et le siège des Éditions Miezi, ont cessé leurs activités. Heureusement, la maison d’édition Miezi poursuit son travail autrement, mais elle a perdu ce lieu considéré comme un temple du savoir, de l’échange et de la réflexion. Les passionnés de littérature sont désemparés.
Il faut souligner qu’Aw’art et Miezi ont joué un rôle majeur dans l’accompagnement de projets artistiques et dans l’accessibilité de l’art à la population, grâce à leur implantation dans des quartiers populaires où les artistes étaient en contact direct avec leur public. Cette dynamique de démocratisation de la culture est aujourd’hui en danger.
La culture, fédératrice et essentielle à la construction du tissu social, semble perdre du terrain. Il y a quelques années, nous avons été témoins de la transformation de certains quartiers grâce à la culture, comme ce fut le cas avec le Théâtre Les Béjarts, implanté dans le quartier Synkin (Bandalungwa), autrefois repaire de bandes de jeunes délinquants appelés « Zoulous ». En les impliquant dans des activités (sécurité, logistique…), en les formant aux métiers d’acteur, les animateurs ont réussi à les réinsérer, au grand soulagement des habitants.
K-Mu Théâtre à N’djili a également œuvré dans cette dynamique.
La compagnie Théâtre des Intrigants à travers son Centre d'initiation artistique pour la jeunesse (CIAJ) poursuit encore ce travail à N'djili. Ils sont nombreux à agir comme véritables partenaires de l’État, notamment dans l’encadrement des jeunes. Bien que les initiateurs de ces projets aient souvent adopté une démarche autonome, sans grand soutien de l’État, cela ne devrait pas empêcher ce dernier de leur apporter un appui administratif, par exemple en les protégeant des multiples « tracasseries » de certains services publics.
L’ÉTAT TRAÎNE ENCORE LES PAS
La construction de maisons de la culture dans toutes les communes de Kinshasa, ainsi que dans chaque territoire et ville du pays, figure parmi les sept actions identifiées dans le programme d’action du gouvernement dirigé par la Première ministre Judith Suminwa, dans le cadre du Programme de Développement Local des 145 Territoires (PDL-145T). L’objectif: améliorer le cadre de vie des populations rurales, dont l’accès à la culture fait partie.
Il s’agit là d’une ambition louable, mais qui nécessite patience et engagement. Comme le dit le proverbe chinois attribué à Lao Tseu, « Un voyage de mille kilomètres commence par un premier pas ». Il est temps d’évaluer les réalisations sur le terrain pour interpeller les autorités. Un an après l’entrée en fonction du gouvernement, le constat est peu reluisant: l’accès à la culture reste un luxe.
Certes, les autorités RD-congolaises invoqueront le contexte difficile, notamment les conflits récurrents dans l’Est du pays - l'agression interminable par l'armée rwandaise -. Néanmoins, d’autres secteurs ont bénéficié d’investissements conséquents. Il est donc urgent de mettre en place des mécanismes publics de financement de la culture.
Faire de la culture un levier du développement économique ne doit pas rester un vœu pieux. Il faudrait passer à l’action. Les autorités politiques doivent repenser – ou recréer – une dynamique forte et cohérente, intégrant la culture dans la stratégie globale de redressement du pays. La culture, dans sa diversité, mérite une place centrale au même titre que les secteurs considérés comme « stratégiques » tels que l’économie, les mines, les hydrocarbures ou l’environnement.
PATRICK NZAZI KIAMA