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(Mon opinion sur le débat relatif à la révision de la constitution de la RDC).

Depuis plusieurs semaines, les esprits sont enflammés par le débat sur le devenir de la constitution congolaise.
Malgré le brouhaha ambiant et les échanges d'invectives qui tiennent lieu de débat, on peut néanmoins activer la lucidité pour essayer de répondre aux questions préalables qui divisent autant la classe politique que l'opinion publique :
- Faut-il ou non toucher à la constitution congolaise ?
- Dans l'affirmative, faudrait-il refondre la constitution actuelle en une nouvelle mouture ou juste retoucher quelques articles ?
- Est-il opportun de le faire maintenant ?

D'emblée on peut considérer que l'évaluation de la Loi fondamentale d'un pays, après l'épreuve du temps et les vicissitudes politiques, est un exercice normal qui pourrait ensuite ouvrir ou non un débat sur l'option à lever.

La constitution est censée doter un pays d'un texte de référence suprême sur son organisation et son fonctionnement institutionnel. Ce texte doit reposer sur des principes fondamentaux auxquels adhèrent toutes les composantes de la nation, dans le but de réaliser les objectifs de la communauté de destin. 
Ainsi la modification d'une constitution (amendement d'articles ou refonte générale) touche au pacte fondamental de la nation. C'est pourquoi elle fait l'objet de dispositions spécifiques ayant pour but de préciser de manière restrictive les conditions dans lesquelles toute modification peut être décidée.
 
La décision d'entreprendre une modification constitutionnelle (et le choix de sa portée) est éminemment politique. Elle doit être justifiée par une nécessité absolue et étayée objectivement afin d'emporter l'adhésion populaire.
C'est ce qu'a estimé le Président de la république, qui vient de réaffirmer son intention d'apporter un changement à la constitution congolaise, probablement en élaborant une nouvelle mouture. 

Il aurait été souhaitable qu'une commission d'évaluation de la constitution soit mise en place et livre ses conclusions. Cela aurait évité d'entendre des arguments parfois spécieux, que les détracteurs pourraient même qualifier de “borderline”... Cela aurait également permis d'étaler au grand jour la mauvaise foi de certaines personnalités hostiles au pouvoir actuel, mais qui s'étaient par le passé prononcées publiquement pour une révision de cette même constitution.

Cela dit, il est indéniable que beaucoup d'observateurs font le constat qu'après presque deux décennies et plusieurs cycles électoraux, la constitution de 2006 semble s'être essoufflée. Plusieurs de ses dispositions sont inopérantes et inadaptées à notre contexte de sous-développement aggravé par les antivaleurs qui affectent le corps social et la classe dirigeante. Mais  surtout, elles nécessitent des moyens humains et économiques dont le pays ne dispose pas encore à ce stade.
On pourrait dire que cette constitution a beaucoup de vertus, mais elle n'a pas tenu compte des vices d'une société et sa classe politique. C'est une constitution trop idéale, mais coupée du réel, poursuivant initialement des objectifs liés aux intérêts des protagonistes qui étaient en présence après les guerres de rébellion.
Cela a pour conséquence que l'efficience de l'État et des politiques publiques n'est pas au rendez-vous, attirant le pays dans une spirale descendante qui bride les élans et hypothèque son développement.
D'où, par conséquent, il est tout à fait légitime de se pencher objectivement sur la constitution, de valider ce constat, et ensuite de projeter la modification de certaines de ses dispositions afin de les profiler de manière plus appropriée, en tenant compte du retour d'expérience depuis son adoption.
Il en est ainsi des dispositions sur la territoriale, dont les promesses n'ont pas été tenues. Il serait opportun de faire notamment une pause sur la libre désignation des gouverneurs de province et sur les pouvoirs des assemblées provinciales. Les premiers devraient être désignés par le Chef de l'État avec un cahier des charges exigeant. Leur double casquette de haut fonctionnaire et d'élu est une monstruosité administrative et politique qui obère leurs capacités à agir efficacement. Quant aux Assemblées provinciales, elles pourraient être transformées en Conseils provinciaux (avec des conseillers provinciaux élus) ayant un avis consultatif obligatoire sur la politique provinciale.

Je penche également pour un régime présidentiel renforcé, avec un président élu au suffrage universel direct pour un mandat de 7 ans, renouvelable une seule fois.
En effet, l'immensité du défi du développement d'un si grand pays nécessite que le temps de la gouvernance soit élargi, à l'image du temps que prend la préparation et l'exécution des projets sur un territoire aux dimensions d'un sous-continent.
Ces quelques exemples, auxquels on pourrait ajouter tant d'autres dispositions, comme celles qui rendent excessivement chronophage la mise en place des institutions, indiquent qu'il serait souhaitable de se diriger vers une refonte globale de la constitution congolaise.
Il s'agirait d'élaborer la constitution de la 4ème république en changeant de paradigme constitutionnel, et de positionner le pays dans les starting-blocks pour un nouvel élan de développement par un ancrage plus profond dans les idéaux de démocratie, de justice et de souveraineté chers aux pères de l'indépendance, et pour lesquels Patrice Lumumba s'est sacrifié.
 
Le diagnostic posé, reste la question pour laquelle les empoignades ont déjà démarré et sont redoutées : Faut-il procéder à la grande révision constitutionnelle maintenant ?

Sur cette question, force est de constater que la suspicion d'une volonté cachée de remettre les compteurs à zéro afin de pouvoir bénéficier d'un mandat supplémentaire est la raison essentielle qui braque l'opposition politique contre toute initiative de révision de la constitution. Cela malgré les déclarations du Chef de l'état où il a réitéré son intention de respecter les dispositions constitutionnelles sur la limitation des mandats à deux.
On se souvient que son prédécesseur, Joseph Kabila, fut accusé d'avoir la même intention lors des modifications qu'il apporta a la constitution, notamment la suppression du deuxième tour de l'élection présidentielle (sur ce point, je suis d'avis qu'il faudrait garder cette suppression. La montée actuelle de la haine tribale rendrait dangereux un deuxième tour, qui consacrerait la partition sociopolitique du pays : la moitié est du pays voterait pour un candidat swahiliphone, et l'ouest pour un candidat originaire des régions centre et ouest), sans parler des phénomènes de transhumance et d'achat de conscience.

Pour conclure, il est impossible de trouver le moment idéal pour réformer la constitution congolaise, car la suspicion sera toujours au rendez-vous, quel que soit le dirigeant qui serait au pouvoir.
Le TEMPORE NON SUSPECTO est un mirage.

Est-on alors condamnés à ne jamais réformer la constitution ?
La réponse est non…

Maître Charles Kabuya