Oui à la voie nationale, Grand Katanga - Kongo Central (Banana)
À quelques semaines de son départ de la Maison Blanche, le président américain, Joe Biden, effectue un voyage très singulier en Angola. Officiellement, cette visite est placée sous le signe de l'affirmation du soutien américain à l'initiative d'intégration économique régionale qui est le projet du corridor de Lobito. Cependant, d'après plusieurs observateurs c'est une visite qui s'inscrit plutôt dans le cadre de la lutte d'influence qui se joue entre les USA et la Chine en Afrique, notamment autour des minerais stratégiques de la RDC.
En effet, l'Angola, pays autrefois empêtré dans une interminable guerre après son indépendance, a su rebondir et devenir une puissance économique et militaire régionale. Mais surtout, ce pays abrite un important port maritime à Lobito et possède une grande ligne de chemin de fer qui est connectée à la région minière congolaise de l'ex Grand Katanga. Autrefois cette ligne servait à évacuer le cuivre congolais, avant d'être abandonnée durant la longue guerre d'Angola.
Aujourd'hui elle a fait l'objet d'une réhabilitation, financée dans le cadre du projet appelé “Corridor de Lobito”. Conçu en partenariat et appuyé par les États-Unis et l'Union européenne, ce projet est présenté comme une opportunité pour booster la coopération économique entre la RDC, la Zambie et l'Angola, et faciliter l'évacuation des produits de ces pays par le port angolais de Lobito.
Cet empressement de l'UE et des USA à faire preuve d'autant d'altruisme et de magnanimité cache mal la vraie raison de leur soutien au corridor de Lobito, qui est la mise en place d'une route sûre pour l'évacuation des minerais stratégiques. C'est d'ailleurs pourquoi ce partenariat a été stimulé dans le cadre du G7 (partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux ou PGII), mettant dans la danse la Sadc, les institutions financières comme la BAD et l’AFC, ainsi que des financements européens et américains.
Derrière cet habillage du projet, qui met en avant les multiples retombées économiques pour les pays de ce corridor, comme la création d'une chaîne de valeur ou la facilitation de la circulation des hommes et des produits commerciaux et agricoles, l'intérêt des puissances étrangères qui se sont impliquées à un tel niveau est difficile à dissimuler. Il s'agit de contrer la Chine, qui a déjà une longueur d'avance dans les partenariats économiques avec les pays de la région, où elle se trouve être très présente dans le secteur des minerais stratégiques, en particulier le cobalt de la RDC, qui possède les plus grandes réserves mondiales.
D'ailleurs il est clairement dit que le corridor de Lobito est une “priorité clé du G7”.
Cet élan d'amour à l'endroit de notre région ferait couler une larme d'émotion…
Pour ce qui est des retombées évoquées, le grand bénéficiaire de ce corridor sera finalement l'Angola, propriétaire des infrastructures et territoire de transit, qui en tirera de substantiels avantages financiers et dont l'influence va s'accroître sur les autres pays de la région, en particulier la RDC. N'oublions pas qu'à ce jour l'Angola exploite unilatéralement, par fait du prince, les ressources pétrolières sur une bonne partie du territoire maritime congolais, profitant de l'affaiblissement de la RDC depuis plusieurs décennies.
Dans ces conditions, la RDC restera ad vitam dépendante et otage de ses voisins tant que l'alternative d'une voie nationale sera inexistante.
Cette dépendance remet en question la souveraineté totale du pays sur ses ressources ainsi que sa sécurité économique. C'est une fragilisation de la RDC qui hypothèque son avenir en tant que nation souveraine.
C'est pourquoi cette situation nous oblige à une prise de conscience et à une détermination politique pour penser à nous doter d'une alternative au corridor de Lobito.
J'ai souvenir que durant la guerre d'Angola, le cuivre congolais fut en partie exporté par la voie nationale, en transport multimodal du Katanga au port de Matadi, en passant par le Ilebo.
Il est aujourd'hui possible de rééditer l'exploit, mais en mieux : en construisant le tronçon de chemin de fer manquant entre Ilebo et Kinshasa, et en prolongeant la voie ferrée au-delà de Matadi, jusqu'au port en eau profonde de Banana. Le tout avec une modernisation de la ligne de chemin de fer coloniale, qui est en piteux état, et l'adoption de l'écartement standard des rails.
C'est un défi immense, qui nécessitera la mobilisation d'importants moyens et prendra du temps. Si le pays avait su préserver des détournements et autres dilapidations un minimum de 100 millions de dollars par an durant les 10 dernières années, c'est au bas mot un milliard de dollars qui aurait pu être disponible pour démarrer un tel projet.
Ayons le courage de lancer ce grand chantier national qui, lui, impactera directement l'économie locale dans les régions congolaises qui sont aujourd'hui défavorisées ou à l'abandon, et qui sera de ce fait un grand projet intégrateur national.
Prenons exemple sur l'Éthiopie, qui a réussi à construire son grand barrage hydroélectrique, dit de la Renaissance, grâce à une souscription populaire.
On pourrait commencer par la création d'une société d'économie mixte, chargée de l'exploitation à terme de ce grand réseau d'infrastructures ferroviaires et routières en mode de concession, sans oublier la réorganisation des transports sur les biefs navigables du bassin fluvial congolais.
Cette alternative devrait nécessairement être construite de manière progressive, selon une programmation établie dans le plan général de développement du pays.
Notre indépendance, notre souveraineté économique et notre sécurité sont à ce prix.
Car, tel que conçu, le corridor de Lobito n'est autre chose qu'un drain placé sur les régions minières congolaises pour en capter la substantifique moelle.
Le Congo a été créé et confié au roi belge Léopold Il en 1885 à la condition d'être un territoire ouvert à l'exploitation par les compagnies commerciales des puissances colonisatrices. C'est pourquoi ses infrastructures de connexion intérieure n'ont pas été suffisamment développées et son accès à la mer a été sous exploité au profit des voies extérieures plus bénéfiques pour l'évacuation des ressources.
Nous avons le pouvoir de changer ce destin de pays-réservoir des minerais, consacré à être exploité par les autres.
Ce n'est pas une fatalité…
Me Charles KABUYA